Photos de Jérôme Fourcade – en partenariat avec l’asso Peleyre

Le flux migratoire est souvent décrit en statistique, en nombre, en graphique et déshumanise les femmes et les hommes que nous appelons « migrants ». Partout en Europe, ils sont photographiés ou montrés comme du bétail. Ce rapport crée un fossé inconscient entre le « spectateur » occidental et eux, acteurs véritables d’une vie qu’ils n’ont jamais voulue. L’accord entre l’Europe et la Turquie à radicalement changé le statut même de ces îles et de ses « nouveaux » habitants. Ce travail photographique, par ce constat, tente de partager une vision différente de la production et du traitement photographique faite sur ce sujet depuis près de dix ans. Une prise de position différente, un langage plus lent, une photo plus « simple » où l’humain est au centre de l’image, loin de l’image choc .

Loin d’éluder les terribles difficultés de vie et d’accueil sur l’île, qui sont réelles, ce projet tente d’établir (ou de rétablir) un pont entre un spectateur habitué à voir des images terribles dans lesquelles il ne peut pas s’identifier et les personnes vivants dans ces camps.

“L’ile des oubliés” est un projet au long court qui s’est développé entre le début de l’année 2019 et la fin de l’année 2022 sur la petite île de Samos en Grèce.

Ce travail a été Lauréat du Prix Image Singulière de la Jeune photographie documentaire en Occitane et de la Quinzaine de la Photographie

Le Contexte

Le 18 mars 2016, l’Europe et la Turquie signent les accords sur l’immigration. Ces accords ont pour but de « gérer » la plus grande crise migratoire qu’a connu l’Europe depuis la seconde guerre mondiale.

Cette nouvelle stratégie consiste à financer les pays hors Europe afin d’accueillir les réfugiés avant leur arrivée sur le sol européen. Il s’agit de se servir des premiers pays (Italie, Grèce, Espagne) comme boucliers aux flux migratoires aussi appelés des « borderzones » ou « hotspot ».

l’Île, nouvelle frontière

C’est le cas de la Grèce avec les îles de Lesbos, Samos, Chios, Kos et Leros, où l’espace insulaires est utilisé pour faciliter la maîtrise du flux des entrées et sorties. Ces lieux jusqu’alors lieux de transitions de quelques jours ou semaines deviennent malgré eux de véritables prisons à ciel ouvert où le réfugié migrant se verra bloqué parfois plusieurs années. Le statut même de ces îles change. On ne passe plus à travers les frontières européennes, on vit « dans » la frontière. Elles sont devenues les lieux de la mise en scène, voire de la théâtralisation de la « crise migratoire » largement instrumentalisés par les acteurs politiques de la région.

Samos, l’oubliée

La petite île de Samos, incarne comme tant d’autres ces lieux barrières, ce « blindage » de la frontière européenne. Son système de détention et d’accueil explose en 2016 avec des arrivées records. Sa capacité d’accueil prévue à l’origine pour 600 personnes maximum est aujourd’hui en moyenne de 5000 réfugiés. Ce camp a atteint son pic le plus haut au printemps 2020 avec 10 000 personnes reçues.

Quitter l’île dépend dorénavant des institutions en charge de leur dossier. Les témoignages sont nombreux. Le plus difficile sur l’île est de gérer l’interminable attente et l’inactivité contraintes.

Malgré tout , un quotidien

Malgré les conditions d’accueil terribles que nous avons tous en tête et que nous connaissons, le camp et ses alentours deviennent indéniablement des espaces de vie et d’échanges. Des enfants y naissent, des mariages et anniversaires sont fêtés, des classes et lieux de vie sont organisés, des amitiés sont liées. On y regarde la dernière saison de Game of Thrones, la finale de la Champions League,. On va boire un verre au bar (clandestin) du coin ou prendre le café. Des activités criminelles se développent également ; trafic de tentes, médicaments ou drogue, prostitution, commerce de faux papiers administratifs… À Samos, comme les autres iles- frontières, le camp apparaît donc comme un espace de vie.